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D'autres engagements : faim dans le monde et écologie

Du sous développement de certains pays au mal développement de tous

« Nous constatons un mal développement du monde ». Tirée de la charte adoptée en Septembre 1980 par l’assemblée générale de Frères des hommes, cette phrase n’a l’air de rien mais elle marque un tournant dans l’histoire de cette association. Au début des années quatre-vingt, avec Terre des Hommes et s’agissant d’aide au tiers monde, elle était l’une des plus importantes en France.

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Jusque-là, elle parlait plutôt de pays développés et de pays sous-développés ; étant entendu que les seconds devaient rattraper leur retard et qu’il fallait les aider en leur envoyant de l’argent, des médicaments et surtout des volontaires. Dans cette perspective, la bataille pour le développement se jouait au sud. Le nord était et un modèle qui montrait la voie à suivre et un lieu d’approvisionnement logistique. Si on informait sur les réalités vécues au sud, c’était le plus souvent pour attiser la générosité des donateurs au nord.

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Parler de mal développement c’était d’un seul coup affirmer au moins deux choses : d’abord le nord, notre monde, n’est pas un modèle à imiter: il est lui aussi mal développé et il faut le changer. Il cesse d’être un lieu d’approvisionnement pour devenir un théâtre d’opérations.

 

Ensuite, entre les régions mal développées de notre « seule terre », il y a des relations de plus en plus nombreuses et il arrive que ces relations produisent du mal-développement un peu partout. Il faut donc que ici et là des hommes et des femmes de bonne volonté se concertent pour agir sur les mécanismes dont ils sont également, quoique de manière différente, les victimes.

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De l’obligation du transfert on passait à celle de la solidarité. Et le rôle des acteurs du sud (on les appellera des partenaires), tendait à supplanter celui des volontaires venus du nord. Or, jusque-là dans l’identité de Frères des hommes, ces jeunes gens (exclusivement de sexe masculin jusqu’en 1979) occupaient de loin la première place.

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Dans le contexte actuel d’une mondialisation accélérée, tout cela est devenu évident. Mais à l’époque, ce genre de découverte a exigé d’innombrables débats et provoqué de douloureuses ruptures.

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A Frères des Hommes, la charte ci-dessus mentionnée avait été produite par « la Table Ronde ». Du 19 au 26 mai 1980, elle avait réuni à Versailles des représentants des diverses composantes de l’association (volontaires, salariés du secrétariat permanent et membres des centres de soutien). Son pilotage avait été assuré par un organisme spécialisé dans l’analyse institutionnelle.

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Charles Condamines y participa activement. En 1978, de Haute Volta et du Bangladesh, des volontaires lui avaient envoyé des lettres incendiaires contre la direction parisienne et les donateurs de Frères des hommes. Il était alors formateur de travailleurs et cadres sociaux, pour l’essentiel d’origine africaine et n’avait pas donné suite. Curieusement, il fut peu après, invité au domicile du président de l’association.

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« Le loup dans la bergerie. »

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Lors de ce premier entretien, on fit un peu connaissance et on parla. On parla obligation pour les ONG françaises les plus proches de travailler ensemble au lieu de se concurrencer. On parla information du public. Pour savoir quoi dire et comment, il fallait d’abord savoir à qui on allait s’adresser. Charles émit l’idée d’un sondage. Sa réalisation fut négociée avec à l’IFOP.

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Les résultats furent publiés en Mai 1979. Dans un supplément du Bulletin aux donateurs. Supplément qui ne leur fut adressé qu’à leur demande expresse au prix de 8 francs. Le contenu mis en forme avec la complicité de Roger Tréfeux, alors rédacteur en chef de Témoignage Chrétien, avait en effet de quoi les surprendre : des caricatures de Plantu y côtoyaient des articles dénonçant l’action de multinationales comme Nestlé, l’hypocrisie de l’aide au Développement fournie par l’Etat français, l’image du tiers monde véhiculée par la presse ou les manuels scolaires…etc.

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Étant le premier du genre, ce sondage fut largement repris par les media et servit de base à la rédaction du livre « Qui a peur du tiers monde ? » (Editions du Seuil 1980)

La notoriété de l’association fit un bon et la légitimité de celui qui, de l’extérieur, avait mené l’opération, s’en trouva renforcée.

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Voilà comment en Décembre 1979, Charles Condamines fut recruté comme directeur de la communication de Frères des Hommes avec un salaire considérablement inférieur à celui qui était le sien à la section internationale de l’ITRSS de Montrouge.

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Peu après, il fut élu au conseil d’administration et le resta jusqu’à son départ de l’association le 31 Décembre 1986 : à cette date, les publications régulières de Frères des Hommes étaient au nombre de 3 : La lettre mensuelle, Une seule terre (pour les militants. 1800 ex.), Le Bulletin trimestriel (pour les donateurs. 100.000 ex.) et Témoignages et Dossiers (Trimestriel, tirage de quelques milliers d’ex. variable selon les numéros).

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L’itinéraire allant du sous-développement/développement au mal développement, le remplacement de la charité par la solidarité, Charles l’avait déjà parcouru. Non sans être passé on s‘en souvient, par le tiers-mondisme politique.

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L’adoption de la charte provoqua plus que des remous : la composante suisse de Frères des Hommes  fit sécession emportant avec elle un important « capital de réserve ». Quelques membres des centres de soutien s’éloignèrent. Surtout, Michel Renault, le président, donna sa démission. Pour certains, il n’avait qu’à s’en prendre à lui-même. En recrutant Charles Condamines, c’était lui qui avait introduit « le loup dans la bergerie ».

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Une fois ces clarifications opérées, il importait de faire la preuve que les orientations adoptées pouvaient être mises en œuvre.

OK, les interdépendances entre ici et là-bas (vente d’armes, immigration, multinationales, politiques publiques d’aide au développement, migrations…) étaient nombreuses. Mais sur laquelle concentrer les efforts ? Laquelle serait la plus mobilisatrice ? Laquelle provoquerait le plus de synergies entre ici et là-bas ?

 

Le choix des filières alimentaires s’avéra pertinent. Servie par un contexte politique favorable (la gauche venait d’arriver au pouvoir) la campagne « Ici, mieux se nourrir. Là-bas vaincre la faim.» connut un franc succès.

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Encore avait- il fallu convaincre d’autres associations de coopération internationale (Terre des Homme et Peuples Solidaires) de s’embarquer dans l’aventure en intégrant le comité politique de cette campagne.

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Sur ce moment de l’histoire de Frères des Hommes, cf. notamment les témoignages de G. Stivet et M. Renault dans « Le mouvement frères des hommes » Edition Parangon, Paris, 2011 p. 238 et s.

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