
Un itinéraire spirituel : des racines chrétiennes
« Nous sommes une fin de race »
"Que le chemin que je prenais était un cul de sac, mon curé m’en a crûment averti. En 1954, de la bouche de ce sexagénaire est sorti l’un des diagnostics les plus lucides et précoces que j’ai jamais entendus : oui, en 1954 et ce sexagénaire était le curé de Farret, mon curé. Un matin après la messe que je lui avais servie. Les milliers de jeunes paysans rassemblés cette année-là à Rodez par la Jeunesse Agricole Chrétienne l’avaient fait ricaner. Il se débarrassait de ses vêtements liturgiques ; les tiroirs où je les rangeais à plat étaient si vastes, si lourds, la sacristie si humide et froide. En hiver, aux alentours de Noël, à cette heure du jour où ni le soleil ni la lampe électrique n’éclairent franchement. Je venais d’avoir quatorze ans.
Cette sinistre prophétie s’est définitivement incrustée dans ma mémoire. Pendant vingt ans, elle ne m’a pas atteint. Ensuite, je n’ai jamais cessé de me demander pourquoi elle ne m’avait pas atteint. Ce curé était mon curé et son coup de couteau à mon intention était pour moi irrecevable. Ce pauvre diable était malade de la tête, voilà pourquoi.
Pendant les vacances, je me confessais à lui tous les quinze jours. Quand je m’agenouillais dans le placard des aveux, sous le regard du crucifié, la vierge Marie me contemplait par derrière depuis l’autel qui lui était consacré. En été, le matin, le soleil réveillait les vitraux et nues sous mon short bleu pétrole trop grand, mes cuisses tremblaient d’être humiliées mais je les soumettais : « Bénissez moi mon père parce que j’ai péché. » Il le fallait que je les soumette car il en fallait de l’obstination, de la foi ou de l’aveuglement pour voir dieu dans cet homme.
Sans aucune expérience des travaux agricoles, « il n’a jamais tenu une fourche, se moquaient les paysans, alors il peut parler ! » Frôlant les murs, le teint pâle, un éternel cache-nez noir autour du cou, pouponné par une mère souffreteuse, on le voyait bien que lui, il était trop efféminé pour gagner sa vie comme un homme. Chargée des nappes de l’autel qu’elle s’apprêtait à rapporter à la sacristie après les avoir lavées et amidonnées, maman parlait de neurasthénie, « une possibilité », sinon, pourquoi allait-il se poster au fenestron quand la voisine s’accroupissait à la bergerie pour ses besoins ? Ça, il n’y avait pas que les mauvaises langues qui le racontaient.
Et moi, pourquoi ai-je continué à me livrer à ce malade mental et n’ai pas ajouté foi à sa prédiction ? Pourquoi était-il crédible quand il présidait le tribunal de dieu et incroyable quand il m’annonçait la mort du clergé ? Encore une fois, parce que j’étais en chrétienté et qu’en chrétienté, un prêtre, quoi qu’il en soit de sa vertu est un représentant de dieu sur terre. » In «J'étais prêtre… » p. 85.
Au centre, le cardinal Marty, devenu archevêque de Paris, le curé de Farret (2ème à partir de la droite au 1er rang) et le tonton Jean, un oncle de Charles (à droite au dernier rang), appartenaient à la même promotion.
